
Ce qui est vivant et désirable est aussi souvent fragile, dangereux, risqué, intime. On le partage en tremblant, avec peur ou avec honte. On peut s’y casser. Dans Enfants de Kinjiki, les artistes se relient à ce qui en eux s’agite, se laissant mouvoir tout en prenant soin d’elles-mêmes et des autres. Comment tenter la vie débarrassée de l’injonction à s’y cramer ?
Pour soutenir leurs explorations, ielles s’appuient sur les matières de Kinjiki, la pièce de Tatsumi Hijikata (1959) considérée comme point de départ du butô. Kinjiki signifie « amours interdites » en japonais – autrement dit homosexuelles, un titre piqué à un roman de Yukio Mishima. Enfants de Kinjiki se veut une fratrie-sororie engendrée par ces amours, par une visite acharnée des (d)égoûts de l’époque et de nos corps travaillés par les violences des mondes d’aujourd’hui.
Depuis cet enchevêtrement complexe et incertain de tensions, d’obscurités et de sexe, s’ouvre une traversée polyphonique alliant danse, musique, texte et vidéo. Entre violence et tendresse, une ode à la vie qui s’essaye encore, dans un univers de frottements et de fluides, de délicates affirmations.
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Un travail collectif emmené par Mickaël Crampon et Pascale Guirimand, avec
Michel Briand, Mickaël Crampon, Pascale Guirimand, Rémi François – danse, texte, musique
Emma Dupré – vidéo, texte, scénographie
Joyce Lainé, Elie Astruc Guitard – lumières
Mélanie Battocchi – illustrations, mise en page
Bertille Guiot – regard, explorations
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Note d’intention
Dans Kinjiki, un homme (Tatsumi Hijikata) tourne autour d’un autre plus jeune (Yoshito Ôno) et lui donne la poule qu’il tenait dans les mains avant d’en superviser le sacrifice. Le jeune homme place la poule entre ses cuisses, qu’il serre en s’accroupissant. La poule gît entre les cuisses ouvertes du jeune homme dont le haut du corps est rejeté en arrière. Noir. On entend des bruits de course, de lutte, on distingue tout juste l’homme montant sur le jeune homme au sol, l’homme crie « Je t’aime » en français. Lorsque la lumière revient sur un air de blues à l’harmonica, il ne reste que la poule.
Les corps sont rigides et déterminés et en même temps tremblants. Ce qui doit être fait est inéluctable. La tension est difficilement soutenable, elle est sexuelle, elle est haine et amour à la fois.
Parce que Kinjiki nous dérange dans ce qu’elle met en jeu, nous avons voulu nous y soumettre : revisiter la pièce par l’expérience, par les corps, par les textes, par les archives et la laisser infuser en nous, nous laisser emmener par elle. À partir de là, le désir est né de créer une forme performative qui témoigne du contexte et des formes d’émergence du butô, mais aussi de tout ce que l’étude de Kinjiki a ouvert en nous.
Ce qui résonne, ce sont les questions d’ambiguïtés propres à la vie, entre tendresse et violence, par-delà la morale et l’obscène. Du corps « arme de guerre » de Hijikata aux « armes molles » de Léa Rivière, du maître de cérémonie qui s’érige aux ténèbres doucement enveloppantes et incertaines, comment affirmer sans dominer ?
Sans chercher à rejouer Kinjiki, nous en partagerons des éléments caractéristiques (le noir, les corps tendus, dressés, la poule, le sacrifice, des cris de sexe, la violence, un air de blues) que nous déjouerons parfois, et leurs mystères. Nous convoquerons, pour nourrir nos danses, les descriptions en chair, images et mouvements des personnages de Notre-Dame-des-Fleurs de Jean Genet (notamment Divine, un personnage de travesti qu’avait déjà dansé Kazuo Ôno en 1959 aux côtés de Kinjiki). Nous tisserons des liens avec Le Corps lesbien de Monique Wittig, dans lequel les amantes se pénètrent de l’anus à l’œsophage dans un long chant saphique. Nous irons voir ce qui se cache à l’intérieur des corps, dans le fourmillement sinueux des entrailles qui fascinent et dégoûtent Yukio Mishima. Nous serons inspirés par le rythme et la douceur du travail du chorégraphe Trajal Harrell. Nous partagerons des éléments documentaires, évoquerons le contexte historique et pourrons faire des liens entre les époques – leurs violences et la vie qui persiste à vivre. Nous tenterons un collage de tableaux éclectiques, dans une esthétique largement brute. Nous varierons les registres d’énonciation, les média et les ambiances, avec pour guide l’ambiguïté et les revers.
Pour ce travail on est soutenu par : le Conseil départemental de la Drôme, RAMDAM, UN CENTRE D’ART, l’ACCR/5ème saison
et accueilli en résidence par : le SPT Lavauzelle, l’ACCR/5ème saison, Batotopie, La Fabrique Dervallières, Le Sept Cent Quatre Vingt Trois – Cie 29.27, Le Plato, RAMDAM, UN CENTRE D’ART.




