Enfants de Kinjiki

Création 2025


Kinjiki veut dire « amours interdites » en japonais – autrement dit homosexuelles. C’est un roman de Yukiô Mishima de 1953, dont Tatsumi Hijikata a emprunté le titre pour une performance de 1959, aujourd’hui considérée comme fondatrice du butô.
Enfants de Kinjiki se veut une fratrie-sororie engendrée par ces amours, par une visite acharnée des (d)égoûts de l’époque. Dans un collage de tableaux aux styles éclectiques, tel un portait de famille, bâtarde évidemment, nous voulons dire ce que nous avons appris/découvert sur les débuts du butô, partager ce qui nous a touché/ému/avivé dans ces corps aux aguets, donner à voir ce que ça nous fait, dans nos histoires et nos corps travaillés par les violences des mondes d’aujourd’hui.

Note d’intention

Les débuts du butô mêlaient danse, arts plastiques, cinéma et littérature, les archives étaient variées et il semblait donc naturel de les approcher par des arts et des sensibilités différents. Une équipe pluridisciplinaire s’est ainsi formée, artistes-artisan.es-chercheur.ses entre 25 et 65 ans, que les affinités queers, féministes, le goût de l’expérimentation et du collectif rapprochent. Au cours de nos 8 semaines de recherche-labo, entre 2022 et début 2024, nous avons travaillé à revisiter la pièce par l’expérience, par les corps, par les textes, par les archives et à la laisser infuser en nous, à nous laisser emmener par elle.
À partir de là, le désir est né de créer une forme performative qui témoigne du contexte et des formes d’émergence du butô, mais aussi de tout ce que l’étude de Kinjiki a ouvert en nous.

Ce qui résonne, ce sont les questions d’ambiguïtés propres à la vie, entre tendresse et violence, par-delà la morale et l’obscène. Du corps « arme de guerre » d’Hijikata aux « armes molles » de Léa Rivière, du maître de cérémonie qui s’érige aux ténèbres doucement enveloppantes et incertaines, comment affirmer sans dominer ?
Sans chercher à rejouer Kinjiki, nous en partagerons des éléments caractéristiques (le noir, les corps tendus, dressés, la poule, le sacrifice, des cris de sexe, la violence, un air de blues) que nous déjouerons parfois, et leur mystère. Nous convoquerons aussi pour nourrir nos danses les descriptions en chair, images et mouvements des personnages de Notre-Dame-des fleurs de Jean Genet (en particulier Divine, un personnage de travesti qu’avait déjà dansé Kazuo Ôno en 1959 aux côtés de Kinjiki) et tisserons des liens avec d’autres textes, en particulier Le Corps lesbien de Monique Wittig, dans lequel les amantes se pénètrent de l’anus à l’œsophage dans un long chant saphique. Nous irons voir ce qui se cache à l’intérieur des corps, dans le fourmillement sinueux des entrailles qui fascinent et dégoûtent Mishima. Nous serons inspirés par le rythme et la douceur du travail du chorégraphe Trajal Harrell. Nous partagerons des éléments documentaires, évoquerons le contexte historique et pourrons faire des liens entre les époques – leurs violences et la vie qui persiste à vivre. Côté esthétique, nous aurons plaisir à aller du côté du grotesque, du cru, de l’ironie, mais aussi de l’humour, avec par exemple le motif de la chanson à la mode, à la manière de Pauline Boulba dans sa performance Ôno Sensation. Nous pourrons tout autant nous placer du côté d’un minimalisme en noir et blanc, laisser tourner longtemps un moteur de vidéoprojecteur en 16mm, sentir les vibrations dans l’air, les archives fragiles ou manquantes, les morts qui ne sont pas loin. Nous varierons les registres d’énonciation, les média et les ambiances, avec pour guide l’ambiguïté et les revers.

Au plateau : Michel Briand, Mickaël Crampon, Rémi François et Pascale Guirimand
Vidéo, scénographie, costumes : Emma Dupré
Lumières: Joyce Lainé et Elie

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